Et ca y est ! Le moment tant redouté, tant attendu, tant prévisible est arrivé. Je me dis qu’il faut que je change de psy. Pourtant, Dominique, elle est bonnes vibes, on ne va pas se mentir. Petit fauteuil en cuir face à elle, elle est assise pieds nus sur sa chaise de bureau, sous une petite lampe de lecture. Elle entoure en rouge des mots importants dans ses notes. Parfois, les jours joyeux, son chat et son chien me tiennent compagnie pendant les 45 minutes de séance. Vraiment, bonne ambiance. Pourtant aujourd’hui, en remontant dans ma caisse, la petite voix habituelle qui arrive de bien loin : il faut que je change de psy.
Il faut que je change de psy, parce qu’elle a trop raison. Le corps ne ment pas, madame Dequenne, même si vous avez l’impression que vous, oui. Oui enfin, j’ai un penchant pour le petit mensonge, peut-être que ma chair l’a aussi, on sait pas. On ne peut pas vraiment faire confiance à 90 kilos d’anxiété. Les vibrations dans les oreilles se mêlent au bourdonnement de mes pensées et je ne sais plus distinguer le vrai du faux.
Il faut que je change de psy, parce qu’elle pose trop de questions. Mais qu’est ce qu’elle a ressenti, cette petite de 6 ans que vous étiez ? L’angoisse de devoir répondre qu’elle a ressenti du vide, de l’absence, du trop plein, de la culpabilité, du doute, de l’incompréhension, de la solitude mais aussi de l’amour, du rire, de la joie comme on en fait peu. C’est beaucoup de réponses pour une question si courte, la gamine de 6 ans et celle de 30 se mélangent un petit peu et je ne sais plus distinguer quelle émotion appartient à qui.
Il faut que je change de psy, parce qu’elle utilise des mots qui fâchent. L’EMDR ne travaille pas le souvenir, il travaille la sensation et l’émotion. Difficile de se raccrocher à ce qui existe ou non, pour une meuf qui simule ses réactions, sensations et émotions depuis la nuit des temps. Être trop sera toujours mieux que ce vide immense qu’est le pas assez qui m’habite. Les souvenirs et les sensations en réalité augmentées se mélangent et je ne sais plus distinguer rêve et réalité.
Il faut que je change de psy, parce qu’elle me pousse à guérir. La thérapie ne vous fera jamais aller quelque part où vous ne voulez pas être. D’accord Dominique, mais on va commencer par avouer que je ne veux être ni ici, ni nulle part ailleurs, la plupart du temps. La guérison, ça donne envie, mais je suis qui si je n’ai plus cette nostalgie qui me colle aux fesses depuis 25 ans, ce manque d’accroche avec la réalité, ce manque de confiance, ce surplus de pensées négatives, ces passages à vides qui durent des années, cette imposture construite autour de moi ? Les traumatismes et les traits de personnalité se mélangent et je ne sais plus qui je suis.
Il faut que je change de psy.
Du coup, j’ai rendez-vous le 7 juin.
Chez ma psy.
Et je vais y aller.

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