4. Les choses, en vrac.

Je cumule un peu les crises d’angoisses en ce moment et j’ai pris la fâcheuse habitude de citer, dans ma tête, toutes les choses qui ont changé et qui font que je ne suis plus moi. Du moins, pas le moi que je cherche en vain à reconstruire depuis cinq ans. J’ai eu envie de toutes les écrire. Puis hier, la cousine de ma mère m’a dit que pleurer, c’était quand même ma personnalité. Aucun mensonge. Mais l’impulsion d’écrire, à la place, toutes les choses qui font qu’au fond, j’existe encore. Que moi existe toujours. La certitude que certaines choses ne changent jamais. Que ma personnalité est plus que les larmes qui m’habitent, que l’angoisse qui me serre et la nostalgie qui m’anime.

Je fais la danse de la joie à la première bouchée de pizza aux aubergines. Je renifle chaque livre neuf que je dépose dans ma bibliothèque comme si je pouvais m’en imprégner. Je fais coucou aux vaches, aux chevaux, aux moutons que je croise sur la route (même si maintenant, je suis triste qu’ils puissent penser que je ne veux pas m’arrêter pour leur faire une caresse). Je fais rouler ma clope sur le bord du cendrier pour rendre les cendres pointues. Je ronge mes ongles comme si ma vie en dépendait. Le noir est toujours ma couleur. La première note de Vienna me met en joie et je mime les solos de piano. Je brosse mes cheveux, en boucle, en arrachant les cheveux blancs qui biquent sur le dessus de ma tête. Je fais des clins d’œil gênants quand je croise quelqu’un que je n’ai pas vu depuis longtemps, en agitant les doigts. 42 degrés la douche, jamais moins. Je ne sors pas de chez moi sans avoir 100% de batterie. Je murmure toutes les répliques du Seigneur des Anneaux. Je me réjouis quand mon père m’appelle encore ma prunette. Je suis celle qui goute le vin en disant simplement que c’est du rouge. Je suis mal à l’aise quand je croise les gens que j’aime en dehors de notre contexte habituel. J’oublie de répondre aux messages une fois sur deux. Je prends les choses personnellement, même quand elles ne me concernent pas. Ma vie pour l’odeur de l’essence, de l’herbe coupée, du café moulu, de la pluie d’été et l’odeur du parfum de ma grand-mère. Je suis toujours incapable de manger une tomate crue. Je m’assieds sur les genoux de ma mère, avec mes 90 kilos. Je hurle goner comme si c’était mon hymne nationale. Je dis chaaaaaaat, à chaque fois que j’ai le bonheur d’en croiser un. Je coince tout ce que je peux entre mes dents de devant. Je reste la queen du karaoké que je pense être. Je fais semblant d’avoir compris ce qu’on me dit quand je n’ai pas entendu et que je suis gênée de demander qu’on répète. Je me persuade encore d’être la fille de Poséidon alors que je n’ai pas vu une piscine depuis des années. J’écoute Say my name avec une douleur qui ne s’en ira jamais. Compter les marches, un mode de vie. Je parle seule et j’invente des chansons chaque jour qui passe. Je dépose les déchets sur la poubelle quand elle est pleine, j’ai pas vu. Sonner à la porte quand personne n’est à la maison, pour le plaisir du petit bruit. Je croque le bout des crayons, des bics, des stylos. Je suis la mytho de la famille parce que je confonds rêve et réalité, comment ça, Muscade n’a pas été mangé par des rats ? Je ne sais ni faire la roue ni le poirier, je pense que ça me gâche la vie. J’appelle Alix sœur, Emma la petite. Et puis au fond, tout au fond, il y a encore un peu du clown de service que j’aimais tant.

S’attacher à l’inutile, au futile, quand le reste ne prend plus racine. Quand plus rien n’a de sens. Il y a des choses, en vrac. Qui ne changent pas.

Hey, toi. Oui, toi. Si tu as d’autres choses auxquelles me raccrocher dans les jours sombres, ne te prive pas de me les partager. La lumière ne fait jamais de mal.

Laisser un commentaire