Aujourd’hui, j’ai acheté une voiture avec laquelle je ne roulerai peut-être jamais. Parce que j’ai peur, que l’angoisse me brûle le ventre et fait trembler mes mains. Parce que je me sens inutile, incapable, en morceaux, bonne à rien, ridicule. Tellement, tellement idiote.
En 2020, c’est toute ma vie qui a basculé sur une ligne droite à 120 km/h. Le corps s’en est remis, rapidement. L’esprit lui, s’est fissuré.
J’ai cherché des coupables. C’était la faute de la route, c’était la faute du pneu, c’était la faute du 31 octobre, c’était la faute du soleil, c’était la faute du café glacé, c’était la faute de la Fiat, c’était la faute de la pompe à essence, c’était la faute du monde entier. Mais c’était juste la faute à pas de chance.
Et tout ce qui a suivi, c’était la faute de l’anxiété. Sauf qu’elle est devenue moi, que je suis devenue elle, qu’on a fusionné sans accord, sans envie, sans consentement, sans aucune grâce alors c’est devenu ma faute. Parce que j’étais pas assez forte, pas assez déterminée, pas assez bien, pas assez futée. J’étais pas assez rien et beaucoup trop tout. J’ai laissé l’angoisse prendre toute la place disponible et remplacer tout ce qui existait par sa terrible lourdeur. La descente aux enfers a été vertigineuse.
J’ai eu la gerbe, le tournis. C’était la dégringolade, la chute, la pente la plus abrupte. En apnée dans l’attente du crash. Qui n’a jamais eu lieu. Je tombais juste. Sans jamais rebondir. Je n’ai plus été capable d’aller pisser toute seule. Plus capable de prendre une douche. Plus capable de sortir de chez moi. Plus capable de travailler. Plus capable de marcher seule. Plus capable de prendre un bus, un train, un café. Plus capable de me déplacer, de conduire. Plus capable d’être autonome. Plus capable d’être.
Les parents, sœurs et ami.e.s qui deviennent aide-soignants, le mari qui devient titulaire, la clope qui devient béquille et le shiraz qui devient anxiolytique. Devenir dépendante. À tout et à tout le monde. Comme un bébé. Comme une vieille.
Le cerveau qui me ment. Qui me laisse croire que c’est de pire en pire, que rien n’est mieux, que tout est noir. Qui refuse d’écarter les rideaux pour apercevoir la faible lueur qui tentait déjà de percer les nuages. Les jours sont devenus des semaines, qui sont devenues des mois, qui sont devenus des années. Et un jour, j’ai pu pisser seule. Sans crier gare. Qui pensait s’exalter une telle nouvelle ?
Il y a quelques mois, ma psy (coucou Dominique, on se voit le 15 mars, je ne vous oublie pas) m’a dit que peut-être, au fond, j’aimais bien qu’on me materne, qu’on prenne soin de moi, qu’on fasse mille agencements pour éviter mes angoisses. Et ça m’a brisé le cœur. Ca m’a brisée tout court. Parce qu’elle avait raison.
Et l’idée a fait son chemin. Comme une brise timide, qui vient frôler la vague. Qui danse avec le remous. Elle a fait son chemin et a élu domicile quelque part à côté de la dernière miette de confiance que j’avais. La dernière petite braise, que je pensais éteinte.
Aujourd’hui, j’ai acheté une voiture avec laquelle je ne roulerai peut-être jamais. Parce que j’ai choisi de me dépasser, d’oser, de sauter le pas, de franchir le cap, de plonger tête baissée. Parce que j’ai laissé un tout petit peu de place à la voix étouffée qui tente d’hurler en moi que je suis capable, que je peux y arriver, que cette version de moi a existé et qu’elle doit forcément être quelque part. Même cassée. Même en miettes. J’existe encore.
Aujourd’hui, j’ai acheté une voiture. Elle s’appelle Bonnie et je suis impatiente de voir la route qu’on fera ensemble.

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